Roger Vilder

Dire que les pièces de Vilder qui sont montrées à cette exposition sont du Mondrian en movement serait ne pas dire grand-chose. Si l'on tient absolument à évoquer Mondrian, on peut le faire judicieusement comme Tommaso Trini qui écrivait voici deux ans : si Mondrian est abstraction géométrique à partir d'un arbre, Vilder est restitution optique des pulsations vitales de ce même arbre. De toute manière, ce serait une erreur que de ne pas savoir dépasser la géométrie des lignes verticales et horizontales dans notre questionnement de l'œuvre.
La géométrie n'est la que comme métaphore et Vilder souligne que CHAQUE MACHINE EST UNE TENTATIVE EN VUE DE SAISIR LES SECRETS DE LA VIE. Pierre Restany parle avec raison de L'INCESSANT CROISEMENT DES LIGNES PERPENDICULAIRES : c'est que les pièces de Vilder respirent, bougent de façon lente, uniforme et sans à-coup.
Alors que dans les pièces à engrenages de 1966 le cycle était très court puisqu' il ne durait que le temps d'une révolution du disque Gestalt élémentaire, il est devenu plus long dans les pièces à expansion et contraction de formes élastiques et plus long encore dans les nouvelles pièces réalisées depuis 1970 et dont certaines devraient fonctionner vingt-quatre heures sur vingt-quatre pendant plus de quatre ans pour voir une configuration donnée se retrouver identique à elle-même. La mise en scène des verticales et des horizontales par Vilder nous propose des mouvements continus au long desquels il ne saurait exister de moment privilégié.
Le mouvement remet en cause tous les états instantanés du système. Il n y a pas d'instant particulier où la dissection de la surface opérée par les lignes orthogonales offrirait des proportions plus harmonieuses ou plus intéressantes. Plutôt dans une étape ou un état nécessairement fugitif de la configuration, c'est dans le système que nous devons voir la source d'une harmonie prolongée qui lie ce qui est à ce qui vient juste d'être et à ce qui sera.
Il était bien naturel que Vilder soit attiré par l'usage du cinéma et de sa temporalité. Dès 1970 il concevait un film pour lequel des essais furent effectués en 1971 en vidéo sur la console graphique d'un ordinateur, et dont le scénario fut mis au point en 1972. C'est un projet très ambitieux et qui sera sans doute extrêmement difficile à réaliser mais qui traite de questions qui sont au cœur de la problématique de Vilder, comme le mouvement , le cycle et la relation entre l'unité et le tout. Un carré formé par des points s'amollit en une amibe puis on ne voit plus que l'un des points qui devient oiseau, puis nuage d'oiseaux, puis troupeau de moutons vu du ciel, puis banc de poissons, puis poisson seul dont une écaille vient en gros plan, devient un point et retrouve les points du carré de départ.
Ce projet fait appel à des séquences de transformation qui doivent être réalisées en animation à l'ordinateur et soulèvent d'importants problèmes techniques.
De façon plus générale Vilder a réalisé un certain nombre de films ou vidéogrammes d'animation cybernétique et l'ordinateur lui a permis de créer des œuvres qui auraient été souvent impossibles de réaliser par des moyens mécaniques. Ainsi le film qui est présenté pendant l'exposition, montre un carré divisé en un certain nombre de rectangles de couleur dont les surfaces varient de façon continue. Ce film a été conçu en 1971, préparé en 1972, filmé une première fois en 1973, tourné à nouveau en 1974 et finalement montré en 1975.Les péripéties de sa réalisation font comprendre ce qu'il faut d'énergie et de force de conviction pour réussir à produire un tel film en dehors du circuit normal.
L'œuvre de Vilder depuis dix ans a toujours su viser juste. Les différentes séries de pièces étaient fascinantes et très fortes quand elles sont apparues, et les plus anciennes comme les plus récentes gardent intacte cette force de conviction que tant d'œuvres cinétiques n'ont jamais eu, ou ont vite perdu par légèreté ou tendance à verser dans le gadget décoratif. Vilder est un classique et ses œuvres sont non pas de simples objets à voir mais des objets de connaissance et des outils de méditation avec lesquels on voudrait vivre.